Emboîtant le pas de sa pactisante, l’esprit pénétra lentement à l’intérieur de la bâtisse, prêtant peu d’attention aux détails de la scène. Les environnements humains étaient au delà de sa compréhension –et particulièrement au delà de son intérêt, du moins pour ceux qui avaient choisis de vivre au sein d’une civilisation artificielle plutôt que de poursuivre la voie de la nature comme l’avaient si bien faits ceux qu’il avait côtoyés. Le Grand Sage connaissait bien l’existence des sociétés humaines, mais sa curiosité ne s’étendait pas jusque là, et dans un tel lieu l’esprit se sentait bien loin de son foyer bercé de l’odeur des arbres et du souffle du vent dans leurs feuilles.
La femme métallique, s’intéressa à un ensemble de quatre fioles aux contenus disparates, l’étudiant sous le regard fatigué de l’ancêtre-esprit. Elle évoqua néanmoins ses réflexions à haute voix, amenant l’hypothèse selon laquelle ces récipients de verre contiendraient chacun un fragment de quatre éléments les plus courants, du moins dans sa fondation alchimique, supposait-il. Elle se retourna alors, lui montrant une fiole d’eau impure, invoquant son droit à exploiter la sagesse du Grand Esprit. Celui-ci prit alors délicatement le contenant à l’aide de ses membres supérieurs –qui ne ressemblaient pas à ça dans ses souvenirs d’ailleurs-, et plongea son regard analytique dans l’âme de ce liquide.
Toute chose possède une âme – ce privilège n’est pas réservé qu’aux êtres vivants-, mais savoir la lire était un exercice d’une grande difficulté. Certains y parvenaient par magie, usant de puissants et dangereux rituels modifiant leur perception du monde, d’autres s’éveillaient à la nature réelle de l’univers après des années méditation et de contemplation, et d’autres encore recevaient ce pouvoir suite à des pactes éternels avec des entités cosmiques assez anciennes pour avoir vu le Néant Primordial avant que les Nephilim ne lui donnent cette forme stable et précise qu’on lui connaît aujourd’hui.
Cherokee appartenait à cette troisième catégorie.
…
Non, CHEROKEE appartenait à la deuxième catégorie, la deuxième ! Un ancien esprit ayant vécu son existence guidé par sa sagesse et sa recherche de l’illumination, si profondément qu’il fût l’un des premiers êtres du plan physique à acquérir naturellement ce pouvoir, et celui qui le développa avec le plus de finesse, ce qui lui valu son titre de Grand Sage.
Mais trève de déblatération.
L’esprit-ancêtre se concentra, plongeant son regard spirituel au cœur de la corruption qui habitait cette eau. Et dans la même mesure, il la fit entrer dans son cœur, mélangeant son monde et le sien, l’intérieur et l’extérieur, tout en conservant assez de recul pour ne pas se perdre dans cette étrange et ésotérique expérience –capacité acquise par les années d’expérience et d’observation-. A quoi ressemblait l’intérieur de cette fiole, vu d’un œil spirituel se positionnant à l’extérieur de tous les biais qui entravaient sa vision pour rendre la vie plus confortable, comme les Concepts de Temps et d’Espace, de Matière et d’Energie ? Aucun mot ne saurait le décrire avec précision. Les cheminements de la causalité se tortillaient comme un serpent piégé dans un cube de miroirs, reflétant ce qu’il était, ce qu’il eût été, et ce qu’il aurait pu être, à l’infini. La magie, les dimensions, tourbillonnaient dans une tempête d’émotions et de possibilités, où chaque éclair était une porte, une fenêtre, une vision et un accès vers quelque chose. Une scène, un sentiment, un souvenir, un mensonge, une vérité. Lire l’âme, c’était pouvoir utiliser cette foudre psychique comme route, sauter de canal en canal, jusqu’à trouver l’itération voulue, la pièce perdue du puzzle du kaléidoscope primordial. Il suffisait ensuite de revenir en arrière, de « fermer les yeux » afin de retourner au confort d’un monde tridimensionnel où le seul point visible était le présent, et de méditer sur le fragment d’information acquise afin de lui donner un sens dans notre perception « classique » des choses.
Heureusement, Cherokee n’avait pas besoin de cette dernière condition, à cause de la nature de son pouvoir et de son esprit façonné pour comprendre rapidement les données extraites. Rendant la fiole à l’héroïne, il expliqua sa vision :
« Cette eau fût corrompue à sa source, elle n’a pas été altérée dans cette pièce. Des arbres l’ont entourée – elle vient d’une forêt, d’un bois. Celui qui l’a amenée ici a certainement essayé de l’étudier, et à fait une découverte cruciale, peut-être la raison pour laquelle ce liquide est dans cet état. Quoi qu’il en soit, je suggère de trouver cette source avant qu’elle n’empoisonne les environs, qui sait quel effet elle pourrait avoir sur la faune et la flore qui l’entourent ? Ou sur les humains.
J’ai perdu la trace de cette source dans l’est, ainsi je ne pourrais pas t’indiquer avec précision où elle se situe. Mais si nous nous approchons, peut-être pourrais-je observer ses effets dans les environs et la retrouver, - naturellement, cela te coûtera un autre vœu. »