Arkazo'k avait voyagé sans but vers le nord. Chassée de ses terres par ses sœurs, effrayée par les villes des hommes qui étendaient leur civilisation destructrice comme les griffes d’un aigle qui s’ouvrent avant de se refermer brutalement sur sa proie.
Sans nulle part où aller, elle était remontée vers l’ouest, bloqué au sud par un océan dont elle ne voyait pas la fin. Elle avait quitté les ravins escarpés et soigneusement contourné les bosquets des regrets. La terre était forte là-bas et ne tolérerait pas la calomnie qu’elle était devenue. Elle eut peur de déclencher quelque chose qu’elle ne maîtriserait pas et s’éloigna prestement. Pas après pas, elle suivit la zone floue qui séparait Doliene de Trione. Les jours semblaient infiniment long pour elle. Elle qui aimait à dormir au cœur des arbres où sur un doux sol de mousse était à présent contrainte de se coucher à même les pierres au risque de transmettre son mal aux arbres qui l’entoure. Même la roche semblait mal vivre ce traitement. Le liquide qui s’échappait de ses bubons lorsqu’ils se perçaient semblait doté de vertu corrosive et oxyder les minéraux au coeurs de la roche. Au moins celle-ci ne souffrait pas, et son poison ne se propageait pas de proche en proche.
Le trajet avait duré un cycle entier. La saison froide battait son plein, les conifères de cette région ne perdaient pas leur feuilles, mais un vent frisquet soufflait par bourrasque, s’engouffrant dans les sous-bois, soufflant durement sur une nature assoupie. Survivre dans la forêt n’était pas une seconde nature chez elle, c’était son essence même. Elle était la nature. Enfin, plus maintenant. Toutefois comme chacune de ses sœurs, elle était capable d’exploiter le soleil pour se nourrir, ce qui ne la dispensait pas d’un régime omnivore, mais très limité en quantité. Quelques champignons, des baies, des racines. Elle n’avait pas de scrupule à manger de la viande, mais elle répugnerait à prendre la vie.
Enfin, elle arriva devant un large fleuve. Elle ne l’avait pas nécessairement cherché, mais il était inutile de faire marche arrière, l’eau ne lui avait jamais fait peur. Flottante, elle était incapable de se noyer, l’eusse-t-elle voulu. Elle regarda la rive qui lui faisait face, n’y vit nulle menace, s’immergea dans l’eau et se laissa dériver, présentant son dos à la rivière, ondulant son corps pour s’éloigner de la rive. L’eau froide mordant sa chair, s’infiltrant dans ses plaies. Petit à petit, elle finit par dériver de l’autre coté du fleuve, déportée sur des kilomètres toutefois. En se redressant, elle fit face à une chose étrange. Une créature de métal, elle avait la forme et la taille d’une dryade, mais elle ne respirait pas, ne vivait pas, elle n’était ni morte, ni vivante.
Une aberration.
Arkazo'k se figea. Ce qui se trouvait en face d’elle était clairement une insulte à la nature, et pourtant, elle la fascinait pour peu qu’elle pût voir les mécanismes et les rouages que les vêtements cachaient à peine. Même les vêtements semblaient venir d’ailleurs. Ils semblaient chauds. Peut-être des régions du nord dont on lui avait compté que les arbres mourraient puis renaissait chaque année ?
Sans être sûre que la chose était vivante, elle tenait une distance raisonnable de quelques mètres, piqué par la curiosité, mais mue par une sourde frayeur. La chose bougeait, mais était-elle vraiment capable de la voir ?
Rien n’était moins sûr.