Les minutes défilaient.
Carmina n’avait jamais eue d’hallucination aussi longue. Rouvrant parfois les yeux par curiosité, ils ne voyaient que de la neige tourbillonnant dans les airs, illuminée par la lueur ambiante, les flocons lui évoquaient de petites particules étoilées, soumises à un puissant flot, bien plus fort qu’elles. Elles ne pouvaient rien faire d’autre qu’accepter leur sort et se laisser emporter par cette main indéfectible, vers un destin inévitable.
Virevoltant au cœur de ce chaos sans nom, Carmina les observait d’un œil mélancolique s’affaiblissant minute après minute, sa vigueur et ses pensées ralentissant progressivement, alors que son corps ankylosé ne ressentait même plus le froid qui la rongeait pourtant il y a peu.
Ses sens s’affaiblissaient. Son esprit se vidait petit à petit, n’ayant plus la capacité de réfléchir à la réalité dans tout cela, aux hallucinations et délires, à sa propre folie ou la raison de sa présence ici au cœur du blizzard, qu’elle soit vraie ou pas. Cette Dame inconnue et ses paroles n’avaient plus aucune importance, tandis qu’elle sombrait doucement vers l’attirante obscurité. En fait, plus rien ne semblait important, ni même le concept d’ « importance ». Elle était là, partout et nulle part, les yeux rivés sur la lumière à la fois de plus en plus faible et de plus en plus proche.
Les minutes défilaient.
Carmina pouvait jurer entendre des voix. Elles étaient multiples, elles étaient partout, certaines familières et d’autres inconnues. Commençait-elle à se réveiller ? C’était certain. Son esprit vagabondait entre ici et là-bas, près à revenir là où il devait être : avec ses camarades mages, qui attendaient tranquillement qu’elle revienne à elle, qu’ils reprennent leur recherche, que la scribe se plonge dans ses intenses méditations afin de retrouver des artefacts perdus. Elle leur donnera des instructions sur papier et ils commenceraient leurs travaux, perçant à nouveaux les secrets des Dieux pour les offrir à l’Homme.
C’est ce qu’elle avait toujours fait après tout. S’inspirer de légendes passées, pour, peut-être, inspirer les légendes du futur. Son ravissement serait total, si les générations futures pouvaient perpétuer dans la grandeur et la sérénité grâce à son pacte avec le Diable !
Sa tête tomba légèrement sur le côté. De ce point de vue, elle voyait la poudreuse recouvrir partiellement son bras inerte, et ses cheveux à moitié enterrés sous la neige blanche. Nul doute que le reste de son corps devait subir pareil sort actuellement, comme si ce monde effaçait lentement son existence sous un voile de pureté. C’était une erreur après tout. Carmina n’était pas une héroïne et ne l’a jamais été, juste une humaine ayant passé un contrat à double tranchant, volant les légendes d’anciens héros. Voilà que son esprit la mettait dans la peau d’un des nombreux personnages qu’elle prétendait être…
C’était une erreur.
Et c’est sur cette pensée que Carmina sombra dans les ténèbres. Elle se vit couler lentement au fin fond des abysses, s’enfonçant doucement dans un voile d’obscurité impénétrable, s’observant disparaître avec tous les artefacts qu’elle avait conçu, des imitations destinées à laisser place aux véritables objets de légendes portés par des héros en étant dignes.
Carmina crût que c’en était fini pour elle. Que son histoire s’arrêtait là, avant d’avoir véritablement commencé. A cet instant, le peu de cohérence qu’il restait à ses pensées répétait inlassablement qu’elle n’était pas une héroïne, et que ce monde l’avait immédiatement rejetée en le comprenant.
Pourtant, son destin ne s’arrêta pas ici. Peut-être que la bénédiction des Tisseurs de Karma fonctionnait encore d’une certaine façon, car ce qui se déroula ne pouvait être que l’œuvre d’une chance extraordinaire.
La scribe rouvrit bien les yeux dans une grotte, mais pas celle qu’elle avait quittée. C’était une caverne de glace, cohérente avec le climat de son dernier souvenir, et cela signifiait donc que l’hallucination n’était pas terminée –chose de plus en plus anormale-. Son corps était douloureusement engourdis, et chaque respiration demandait un effort considérable, mais plus important encore : elle n’était pas seule.
Une jeune fille blonde était là, tentant vainement de faire un feu avec quelques bouts de bois. En bonne forme physique, bien plus que Carmina dans ses meilleurs jours, elle était certainement une athlète ou une combattante, peut-être les deux. Son aura avait quelque chose de peu commun, mais les sens de Carmina semblaient brouillés, probablement par son état.
Ou par le fait que cette fille, vraisemblablement sa « sauveuse », n’était pas réelle non plus, tout comme le reste. Ses vêtements ne ressemblaient à rien de ce qu’elle avait connu, preuve que son esprit déraillait complètement.
Mais il y avait la fourrure, en accord avec le climat, preuve que son délire s’en tenait tout de même à un minimum de cohérence.
L’écrivaine trouva la force de prendre la parole, s’adressant d’une voix faible à l’inconnue :
« Carmina n’a jamais vue quelqu’un d’aussi bizarre dans ses hallucinations, même les plus délirantes. Son esprit doit vraiment être mal en point. » Elle se redressa ensuite lentement, s’appuyant sur un pilier derrière elle :
« Elle ne se souvient pas de ces montagnes ni de toi… Comment t’appelles-tu ? Peut-être que ton nom lui fera comprendre de quelle histoire as-tu été inspirée, car tu n’es clairement pas quelqu’un ayant réellement existé, Carmina en est certaine. »