Date : Beotl 275
Le voyage vers Heywich fut d'une longueur non négligeable, même si la compagnie de Relhan permit à la rouquine de ne pas trop s'ennuyer. Cependant, une fois arrivé à la capitale, quelle ne fut pas la déception de l'amie des animaux de se rendre compte que l'endroit était aussi mal famé qu'on le lui avait dit. Un instant elle pensa rester afin de pacifier la région mais bien vite elle se rappela l'extraordinaire affaiblissement de ses pouvoirs. A lutter dans cette ville, elle mourrait sans avoir rien pus faire de bon, et ça ne l'aiderait sans doute pas à retrouver Orina, Mizu ou Mune. Elle se raccrochait à cet objectif, qu'elle savait pourtant fantaisiste, sans doute parce que si elle n'en faisait pas ainsi, elle se contenterait de s'effondrer pour toujours. La famille qu'elle avait pus construire par le passé lui manquait, mais ce n'était pas à elle-même qu'elle pensait. Elle était pétrifiée de terreur à l'idée que sa fille adoptive ait subis le même sort qu'elle et se retrouve donc forcée d'affronter un monde cruel sans aucun pouvoir pour se défendre. De nombreuses fois elle avait également pensé qu'elle ne pourrait sans doute plus être la protectrice qu'elle avait alors été pour elle, mais qu'à cela ne tienne, elle refusait de se laisser faire par des dieux égoïstes qui leur pourrissaient la vie. Elle retrouverait ses pouvoirs, et irait mettre fin une bonne foi pour toutes aux règnes abjects qui dominaient ce monde. Si elle avait très légèrement entendus parler des dieux sombres, ils n'étaient pas le sujet de sa colère, en tout cas, pas pour l'instant. En effet, ceux-ci n'avaient encore rien fait de mal dont elle puisse juger par ses propres yeux, au contraire, cette dame blanche, qui se faisait visiblement passer pour une rédemptrice, l'avait arraché à une vie qu'elle venait tout juste de reconstruire, l'avait bazardé dans un endroit ravagé par des guerres intestines sans même lui demander son avis. Rien de bon ne pouvait sortir d'un être pareil.
Clairement sur les dents, elle avait erré pendant une journée entière dans les rues, en essayant de se faire discrète. Lorsqu'elle échappa de justesse à une bande qui rackettait un jeune garçon, elle décida qu'il valait mieux ne pas s'attarder dans l'enceinte des murs une fois que la nuit commencerait à tomber. Rageuse face à son impuissance, elle qui avait désormais l'habitude de pouvoir protéger les innocents, elle regagna les portes extérieures de la cité en faisant profil bas. Fort heureusement, ses vêtements déchirés (elle n'avait pas trouvé de quoi les remplacer depuis sa mésaventure dans le lac où elle avait atterris) et l'absence de quelques possessions matérielles hormis son arc la faisait passer pour une chasseresse sans le sou, ce qui, à bien y réfléchir, était parfaitement le cas, si on omettait le simple fait que capturer une simple prise avait été d'une difficulté inimaginable et que son ventre était creusé par la faim.Elle n'avait pas une seule pièce à débourser, et personne ne voulait faire confiance à une étrangère comme elle dans une ville où même la plus innocente des petites filles pouvait en réalité être un coupe-jarret.
De retour dans le sud des Landes, elle était désormais complètement seule, sans personne pour l'aider à monter la garde. Immobile devant l'immensité verte, elle fut prise de vertige. Seule. Elle était complètement seule. Combien de temps cela faisait-il depuis la dernière fois où cela lui était arrivé ? Elle peinait à compter. Elle retint des larmes de désespoir et se remit à marcher d'un pas décidé, le visage fermé. La nuit était déjà largement tombé lorsqu'elle trouva une auberge insalubre. Elle y quémanda une nuit dans l'écurie en l'échange d'une vaisselle, ce qu'on lui accorda de mauvaise grâce. La rouquine ne s'y sentait pas vraiment plus en sécurité qu'elle ne l'aurait été dans la capitale, et ne ferma pas beaucoup l'oeil de la nuit. Le lendemain son estomac se fit plus insistant que jamais et elle regagna la salle commune pour essayer de marchander de la même manière une miche de pain ou quoi que ce soit de consistant. Alors que le tavernier la repoussait d'un signe de la main, un homme à l'air, ma foi, pas plus rustre que ses congénères, s'appuya sur le bar pour raconter une histoire qu'il semblait trouver passionnante.
Intriguée par l'idée d'une « gamine rosâtre », Aki s'approcha de quelques pas. Estomaquée, elle observa un bijou argenté briller dans sa main. Un bijou qui ne pouvait avoir qu'une seule origine. Discrètement elle s'assit au comptoir en tendant une oreille à la conversation. Elle aurait volontiers récupéré le bijou et les informations en montrant à cet homme qu'on ne s'en prenait pas aux enfants et en l'empêchant à jamais d'en avoir, mais morte, elle ne sauverait pas grand monde. Les yeux baissés sur le bois abîmé par le temps, elle se contenta donc de rester silencieuse. Immobile. Orina était là. Quelque part. Et il lui était peut être arrivé quelque chose de grave. Elle était sans doute morte de peur. Et sa mère n'était pas là pour la rassurer. Une mère bien peu fidèle et qui n'avait pas si souvent été à ses côtés malgré ses belles promesses. Mais une mère qui aimait sa fille au delà de tout.