Bien évidemment que geindre et se lamenter sur son sort ne lui ramènerait pas sa fille. Elle savait que cela n'apporterait rien de bon au final et qu'elle risquait juste d'apporter de la tristesse là où il n'y en avait pas. Peut-être que si son fiancé avait été là, il aurait pus appuyer ses propos, les confirmer, il aurait pus être plus convainquant qu'elle. Mais elle l'avait aussi perdus, parachevant la destruction d'une existence qu'elle s'était tant efforcée de construire. Et alors que les fragments s'évaporaient devant elle parmi les mots de celle qui avait été sa fille, elle comprit qu'elle ne pourrait plus rattraper le passé. Jusqu'ici, pendant ces premiers jours qu'elle avait passé sur Bariande, elle avait espéré de tout son cœur pouvoir regagner l'endroit d'où elle venait et retrouver son ancienne vie, elle avait au moins crus qu'elle pourrait rassembler les pièces de son ancien puzzle pour en construire un d'identique ici. Mais elle ne pouvait pas faire marche arrière. Ce que ce transfert avait détruit, il l'avait détruit pour toujours, et quoi qu'elle tente de reconstruire, rien ne serait jamais comme avant. Elle avait devant ses yeux l'homonculus qui l'avait oublié, mais tout le reste ne semblait pas vouloir réapparaître, ses compagnons à poils blancs qu'elle affectionnait tant ou l'homme qu'elle avait aimé.
Y avait-il encore quelque chose qui valait le coup de se battre si c'était tout ce qu'elle avait perdus ? Se sentant plus que jamais éloignée de la bénédiction de Gaea, elle pensa à l'étrangeté de ces mondes et à cette déesse qui l'avait amené ici, suppliant pour son aide à elle, et pour celle de tous ses semblables. Sans doute était-elle pire encore que ses comparses de l'ancien monde, puisqu'elle semblait convaincue que d'agir pour ses raisons égoïstes était tout à fait bien fondé. Voulait-elle se battre pour le bien de cette femme ? Sûrement pas. Heureusement cette fois, elle s'était bien observée, et aucun tatouage ne subsistait sur son corps. L'ancien phénix rouge avait disparus également, comme si toute cette partie de son passé n'avait tout simplement jamais existé et elle aurait bien pus y croire … Mais il y avait Orina ici. Elle avait reconnus son nom. Cela ne pouvait pas être qu'une pure invention ! L'argument inévitable arriva sur le tapis, un argument qui faisait montre du grand manque de confiance en soi de la petite fille.
-Nous le savions bien que tu étais une homonculus, mais ce n'était pas important pour nous. Tous les deux n'étions pas totalement humains non plus à notre manière … et tout ce que nous désirions c'était de fonder une famille avec toi.
Un peu plus tard, la fille aux cheveux roses avança quelque chose d'autre. Elle parla du fait qu'elle venait d'un autre monde. Forcément, elle ne pouvait pas savoir que c'était également le cas d'Aki. Quoi qu'il en soit, elle émit l'hypothèse que la rouquine pouvait bien la confondre avec quelqu'un d'autre. Était-ce possible ? Non, trop d'indice se corrélait. Plus que son nom ou son visage, il y avait aussi cette broche, ses origines … Tout correspondait, hormis ses souvenirs.
-Je suis certaine que je ne te confonds pas Orina. Je viens également d'un autre monde, le même que toi. Cette déesse de pacotille nous a transporté ici, tu l'as vus toi aussi, non ? Si j'avais été avec toi quand cela c'est produit, peut-être que tu n'aurais pas perdus tous tes souvenirs …
Elle baissa les yeux, triste et affligée. Tout cela était probablement de son fait. Si elle avait été une mère décente, elle serait resté à la capitale, chez eux, comme son fiancé le faisait, au lieu de parcourir le monde par monts et par vaux pour se retrouver dans une nation étrangère au moment fatidique. La personne avec qui elle était alors était apparue juste à ses côtés, il n'y avait pas de raison pour que cela se soit passé différemment si elle avait été avec sa fille. Mais les regrets n'arrangerait plus rien désormais. Son nom. Il est vrai qu'en l'absence de ses souvenirs, sa fille ne pouvait même plus se rappeler de ce détail pourtant important. C'était peut-être maintenant qu'elle pouvait se donner une chance de tout recommencer. Peut-être pas exactement de la même façon, mais au moins d'essayer.
-Je m'appelle Aki. Je suis une druidesse. Nous nous sommes rencontrés dans une forêt il y a presque deux ans de cela dans cet autre monde. Tu venais d'arriver là bas et tu avais très peur. J'avais deux animaux avec moi à ce moment, Mizu et Mune, une renard et un loup. Par la suite, vous vous êtes très bien entendus. Je ne t'ai pas adopté tout de suite, mais des mois plus tard, nous nous sommes retrouvées et j'ai décidé de vivre sous le même toit que ton père adoptif pour rester avec toi. Tout ce que je voulais, c'est que tu sois en sécurité et que tu ai une vie normale, loin de tous les conflits de ce monde … Ce n'est pas grave si tu ne t'en souviens pas. Ce n'est pas ta faute … C'est même sans doute la mienne … Je … Je voudrais vraiment te demander de venir avec moi et de voir si tes souvenirs reviennent, je voudrais te demander ça mais … Je … Je ne veux pas que tu te sentes obligée de suivre quelqu'un que tu ne connais pas … Si tu es bien la fille que je connais, tu dois avoir tout aussi peur que la première fois que je t'ai vue alors je ne veux te forcer à rien, vraiment … Est-ce que je peux juste te demander … où tu vas aller ? Je voudrais avoir une chance de te revoir …
Retenir ses larmes était vraiment difficile, quasiment impossible à ce stade. Les yeux luisants, elle ferma les paupières un instant pour empêcher sa peine de se déverser à nouveau, priant pour une réponse qui lui donnerait l'occasion de la serrer dans ses bras un jour de nouveau.