Niasci était désormais de retour à Gothregal depuis plusieurs jours. Le jarl avait fait un petit point avec elle afin de remplir sa part du marché : un logement ainsi qu’un travail. Elle avait obtenu l’un et l’autre et était donc capable de subvenir à ses besoins. Il était amusant de penser à quel point la vie des hérauts allaient être différente en fonction de la nation choisie.

Ceux partis à Tirione devaient être confortablement installés sur des tas de coussin à se faire servir par une marée de serviteurs, à moins qu’ils n’aient été écorchés vif et exposés sur la place du marché une fois les différentes délégations parties. L’idée que la reine put ne pas tenir parole était une possibilité que les hérauts qui l’avaient rejointe avait dû imaginer. A Doliene, ils étaient dans une sorte de grande maison avec plein de mages pour apprendre la magie. Niasci n’avait pas étudié la proposition de cette nation pour la simple raison qu’elle ne possédait pas de pouvoir. D’ailleurs, elle ne devait pas les intéresser pour cette même raison et ils l’auraient probablement refusée dans leurs rangs, la laissant livrée à elle-même dans un environnement inconnu. Gondone était proche de Gothregal, il fallait travailler pour vivre, elle avait donc hésité mais pour des conditions semblables, rester dans son territoire natal lui semblait plus plaisant. Cependant, elle s’y rendrait afin de voir le sanctuaire préparé par la dryade pourrissante. D’ici quelques temps, maintenant que ses pouvoirs étaient contrôlés et qu’elle pouvait à nouveau avoir une vie tranquille, elle serait probablement moins véhémente à l’égard de leur Déesse et donc moins détestable. Ce sanctuaire représentait une immense opportunité pour Niasci de rencontrer de nombreux hérauts avec qui elle pourrait partager sa foi et peut-être augmenter la ferveur de la leur.

Elle était sortie de la ville pour se ressourcer un peu. Ces longues semaines dans la ville de Tirione, bruyante et surpeuplée par des personnes toutes très différentes avait été très difficiles pour elle et l’Ondine avait grand besoin de retrouver le calme et la solitude des campagnes. Elle avait donc profité d’un jour de repos pour quitter la ville et se promener dans les alentours de celle-ci. Elle tenait à son travail et ne comptait pas s’absenter plusieurs jours. C’est pourquoi elle évitait de trop s’éloigner.

Mais, même ainsi, il n’était pas difficile, en quittant rapidement la route principale, de s’enfoncer dans des endroits sauvages et inhabités où l’on pouvait trouver quelques sources d’eau non exploitées par l’homme où elle pourrait se détendre en plongeant ses mains dans l’eau glacée afin de renouer avec ses origines.

Elle marchait depuis l’aube quand, en fin de matinée, elle trouva enfin un coin qui lui convenait : un petit ruisseau qui devait à peine faire une vingtaine de centimètre de largeur et 5 ou 6 centimètres de profondeur, entouré par de grands Sisde dont les chapeaux formaient un coin agréablement ombragé. Les animaux qui vivaient au milieu de ceux-ci paillèrent quand Niasci s’approcha et ils s’éloignèrent un peu mais, rapidement, l’essence naturelle et le calme de celle-ci les fit moins craindre le danger et ils revinrent vers leur demeure en la contournant.

Elle chercha un endroit où s’installer près de l’eau et trouva un rocher de belle taille sur lequel elle s’assit. Il était gros et allongé et elle balança donc les jambes, ravie comme une enfant de voir les poissons minuscules nager dans la rivière. Celle-ci était gelée par endroit d’une fine pellicule de glace de quelques millimètres et on voyait en dessous les animaux se balader au milieu des reflets donnés par la lumière.

Le rocher sur lequel elle se trouvait bougea de quelques centimètres. Elle pensa qu’il n’était pas très stable. Elle gigota un peu sur celle-ci pour tenter de la replacer dans une position adaptée pour qu’elle ne se dérobe pas sous ses mouvements. A sa grande surprise, le rocher n’en bougea que davantage et, à un moment, elle décolla même de quelques centimètres.

Sans le quitter, elle tourna la tête pour regarder ce socle. Celui-ci avait maintenant une tête, une queue et des pattes. L’ensemble semblait être fait de longues écailles de roche et la créature ne semblait pas ravie qu’on l’ait prise pour un fauteuil de fortune. Elle s’ébroua bruyamment, manquant faire tomber Niasci. Elle vit alors que le dos de la créature semblait se gonfler. Chacune des écailles commençaient à se détacher en se redressant ce qui lui donnait un aspect beaucoup plus menaçant et lui enlevait son aspect lisse de rocher.

Niasci sauta au bas de la créature quand les écailles se redressèrent. Celles-ci étaient terriblement solides et commençaient à lui faire mal. Dès qu’elle toucha le sol, la créature se tourna vers elle d’un air énervé. Il commença à racler le sol avec ses longues griffes en giflant l’air de sa queue, prêt à charger. Niasci eut tout juste le temps d’armer son bras pour encaisser l’impact quand la créature lui sauta dessus.

Elle crut pouvoir résister mais le poids de la créature la fit tomber au sol. Elle roula pour ne pas se faire piétiner mais prit un grand coup de queue dans la jambe. Elle rampa sur le coté en se tenant la cuisse. Si elle s’en sortait, elle allait avoir un bel hématome. Elle qui voulait se reposer, ce n’était pas gagné mais cela faisait du bien de ressentir à nouveau les aléas de la vie en extérieur et le contact avec les créatures de la région. Elle tira son marteau vers elle en cherchant une porte de sortie, seule, elle risquait de ne pas pouvoir combattre ce Rorckarion en colère. Elle vit une partie de la forêt particulièrement touffue où il aurait peut-être du mal à se déplacer mais malheureusement, elle aussi vu que l’Ondine ne brillait pas par son agilité, loin de là.

Elle prit appui sur un arbre pour se relever et tester sa jambe. Elle pouvait tenir dessus mais elle devait faire attention car celle-ci risquait de la lâcher à tout moment et un deuxième coup la mettrait probablement au sol de façon plus définitive. Tandis que la créature continuait à pester, prêt à attaquer, elle l’interpella en sifflant et en criant. Il courut vers elle et elle ne tenta pas de fuir mais se décala juste un peu, espérant qu’il fonce dans l’arbre et qu’elle pourrait en profiter pour lui donner un coup qui l’assommerait et lui permettrait de partir loin d’ici avant qu’il ne reprenne ses esprits.

La créature fonça vers elle et s’écrasa comme prévu contre l’arbre. Cependant, sa carapace était encore plus dure que ce que Niasci avait pu imaginer. Certes, la créature c’était écrasée contre l’arbre mais cela ne semblait pas la déranger outre mesure. Elle eut un moment de panique quand elle vit que le Rorckarion n’était pas du tout assommé et que son plan était dès lors un énorme échec.

Elle tenta malgré tout, dans un dernier espoir, de lui donner un grand coup de marteau. Paniquée, elle savait que si l’arbre n’avait pas arrêté la créature, ce n’était pas son vulgaire coup qui pourrait suffire mais elle n’avait pas d’autres solutions, c’était l’action où la mort et elle devait tout tenter.

Le coup parti avec l’énergie du désespoir et le marteau s’abattit sur la créature. Niasci se mit à courir en espérant que ce coup lui laisserait suffisamment de temps pour s’éloigner. Après quelques mètres, elle se retourna pour voir si la créature la suivit et elle s’arrêta net. Non seulement la créature ne la suivait pas mais il s’existait sur place et avait du mal à se déplacer. L’Ondine s’approcha prudemment, abandonnant l’idée de fuir.

A l’endroit où le marteau avait frappé le Rorckarion, elle voyait désormais une marque de glace qui s’étendait progressivement sur tout son corps et pénétrait sa carapace. Il s’agitait dans tous les sens, essayant de se débattre contre cette glace qui l’attaquait sournoisement. Niasci s’approcha encore plus prêt en fixant son marteau et redonna un coup. La glace grandit sur le corps de la créature et se rependit plus vite attaquant cette fois les pattes et le visage. Il finit par s’écrouler sur le sol, entièrement pris dans la glace.

Elle s’assit à coté de lui qui ne bougeait plus. Niasci n’en revenait pas. Était-ce vraiment elle qui avait fait cela ? Elle regarda autour d’elle mais ne vit personne et elle ne pouvait nier que son deuxième coup de marteau avait semblé accélérer le processus. Cependant, l’Ondine n’avait jamais pu faire usage de la magie. Contrairement à ses sœurs, elle n’avait pas le moindre don, elle n’était même pas capable de respirer sous l’eau. Comme se faisait-il que brusquement, son marteau soit capable d’une telle chose. Elle se demanda s’il ne s’agissait pas d’un enchantement comme elle avait pu en tester à Lerry mais l’enchanteur professionnel lui avait assuré que son marteau n’avait aucune amélioration magique de ce type. Ca venait donc forcément d’elle.

Lors de sa révélation, la Dame lui avait dit qu’elle avait libéré ses possibilités, Niasci n’avait à l’époque pas compris ce que cela signifiait. Elle se mit à pleurer en regardant le Rorckarion gelé. Elle avait tellement souhaité avoir des pouvoirs comme toutes les autres, toute sa vie, elle avait tenté de trouver des solutions et avait fini par se rabattre sur une nouvelle façon de se battre. Elle s’était entraînée pendant des mois, elle avait réussi à faire quelque chose mais avait ensuite tout perdu mais l’Ondine l’avait accepté en faisant confiance à sa déesse. Niasci réalisait que sa déesse lui offrait ce qu’elle avait toujours voulu et sa foi devint plus forte que jamais. Elle avait réalisé un miracle qui allait changer sa vie et Niasci comptait bien lui dévouer cette dernière afin qu’elle puisse recouvrir la liberté.

Après une bonne demi-heure, le flot de larmes de Niasci se calma. Elle prononça une dernière prière et alla observer la créature. Elle était désormais totalement morte. Elle regarda avec envie ses belles écailles. Leur solidité l’avait impressionnée : elle avait commencé par les sous-estimer mais il semblait que celles-ci soient extrêmement résistantes. C’était peut-être la solution à son problème de tenue.

La pseudo armure offerte par ses sœurs avait été rapiécée par ses soins grâce à l’enseignement du maître en travail du cuir. Elle s’était présentée au conseil des quatre nations avec une tenue déchirée en de multiples endroits et elle n’en était pas fière. Se changer n’était pourtant pas une possibilité car elle y était trop attachée. Cependant, elle était consciente que ce n’était pas une véritable armure, surtout depuis son combat avec Rin. Même rapiécée, cette tenue n’offrait pas une grande protection et il était temps pour Niasci d’envisager autre chose.

Elle voyait dans les écailles une possibilité de se faire une armure de plate comme elle en avait déjà vu sur des gardes et dans les forges. Elle ne savait pas si c’était suffisamment solide mais elle ne perdait rien à en emporter quelques-unes pour se renseigner et éventuellement faire des tests. De toute façon, la créature n’en avait plus besoin désormais.

Elle se redressa donc, cherchant un solide morceau de bois sec et essaya de le coincer dans la glace. Elle donna ensuite un grand coup de marteau pour essayer de la briser et ainsi libérer la créature de l’emprise magique. Après quelques efforts, elle parvint à retirer des petites plaques de glace et les écailles de la créature devenait dès lors accessible. Ensuite, elle utilisa le bois et le marteau pour déloger les écailles une à une. Ce ne fut pas une mince affaire et elle cassa plusieurs qui avaient été fragilisées par le froid. Elle espéra que ce n’était que temporaire. Elle en empila six à coté d’elle avec fierté. C’était largement suffisant pour commencer à faire des tests. Niasci en profita également pour récupérer quelques bandes de cuir comme elle avait pu voir les gardes / chasseurs de Gothregal faire lorsqu’ils avaient chassé ensemble durant le trajet jusqu’à la capitale de Tirione.

Elle retira finalement un énorme morceau de viande qu’elle mit à cuire pour fêter l’heureuse nouvelle de l’apparition de ses pouvoirs. Elle monta un petit feu de fortune pour le faire cuire rapidement et dégusta. Il devait être aux alentours de quatorze heures quand elle se décida de partir. Elle éteignit son feu et reprit la route. En quelques heures, ils s’étaient passés énormément de choses : elle avait eu l’impression d’avoir une chance de s’en sortir, ensuite elle avait cru mourir et finalement elle se découvrait une puissante magie offerte par la Dame.

C’est toute guillerette, le marteau sur l’épaule et les écailles de Rorckarion sur l’autre qu’elle retraversa la forêt en sens inverse jusqu’à retourner sur la route principale où de nombreuses personnes étaient en route vers Lerry, la capitale de Gothregal.

Récolte:

Après quelques temps sur la route, Niasci s’arrêta à une petite auberge. Le poids des plaques et du marteau ensemble était conséquent et elle avait besoin de se reposer un peu où elle ne parviendrait pas à rentrer chez elle sans se blesser. L’endroit était petit et servait principalement à accueillir des voyageurs de passage qui souhaitaient se reposer ou se restaurer. Il n’y avait que quelques grandes tables que les clients devaient se partager. Niasci s’assit donc en face d’un homme qui portait une longue robe et qui était en train de boire un grand pichet de bière.

Elle-même commanda de l’Hydromel ainsi que le plat du jour. On lui apporta rapidement son pichet d’hydromel et l’homme en face d’elle fut servit en même d’une belle quantité de viande accompagnée par une grosse pâte de blé passée au four qui formait des petits pains à tremper dans la sauce. Niasci reçut un peu plus tard la même assiette et commença à manger dans le silence. L’homme en face d’elle décidé par contre d’entamer la conversation :






Niasci fut bloquée sur le moment. L’attaquer, ne pas l’attaquer ? Elle posa la main sur son marteau mais l’aubergiste attentif vint lui demander, inquiet, s’il y avait un problème. Après tout, le pauvre homme ne voulait pas de bagarre si de dégât dans son établissement. Elle se détendit. C’était la religion dominante et éliminer ce prêtre ne changerait pas grand-chose mis à part l’empêcher de réaliser ses objectifs en étant mise en prison et privée de tout les progrès et l’intégration qu’elle avait réussi à gagner jusqu’à présent.

Par contre, il était hors de question de ne pas profiter de cette situation, elle avait de nombreuses questions à poser à cet homme sur ses croyances. Elle ne comprenait pas le culte des dieux sombres puisque, même avant sa révélation de la Dame, son clan avait un culte plutôt généralisé et porté sur la nature que sur les dieux sombres.




Niasci répondit par l’affirmative en pensant à sa propre déesse qu’elle priait régulièrement. Elle se leva ensuite, alla régler son repas et se dirigea vers la sortie. Il ne fallait pas qu’elle prolonge plus cette discussion car elle risquait de s’énerver et ne pourrait pas mentir si on sortait des généralités pour entrer dans le registre de la croyance.

Alors qu’elle allait quitter les lieux, le prêtre l’arrêta brusquement en se levant :



L’ondine se retourna, posa sa charge au sol et pointa la broche qui ne se voyait pas énormément à cause de la couleur générale de sa tenue. En regardant attentivement, on pouvait cependant y voir le sceau bleuté de Gothregal avec sa hache à deux lames. Il hocha la tête et se rassit, lui faisant signe de partir.

Elle n’attendit pas qu’il change d’avis et quitta définitivement les lieux pour terminer son trajet vers la ville. Le reste du trajet fut fatigant mais calme. Elle croisa beaucoup de monde sur la route dont quelques commerçants de Gothregal qu’elle commençait à avoir l’habitude de voir en ville régulièrement. Elle les salua et traversa la muraille de Lerry alors que la nuit commençait à tomber.

Elle alla jusqu’à chez elle afin de se nettoyer, elle se sentait souillée d’avoir ainsi été amicale avec le prêtre et fit une longue prière à la Dame : celle-ci lui donnait une magie puissante et Niasci la remerciait en faisant du copinage avec les prêtres. Même si c’était dans une démarche réfléchie, elle avait honte de la décision qu’elle avait prise, elle aurait vraiment dû le tuer.

Cela terminé, elle se sentit mieux et installa sa récolte dans un coin de la maison. Il était trop tard et elle était trop fatiguée pour se mettre à faire des essais de forge pour l’instant. Ca serait pour un autre jour quand elle pourrait négocier d’utiliser celle-ci pour son usage personnel ce qui n’était pas toujours possible au vu des commandes et des nécessités d’entretien.

Elle s’allongea sur son lit, ce qui lui faisait toujours bizarre, elle qui avait l’habitude de coucher sur des lits d’herbes et de fougères. Elle s’endormit en pensant à sa magie qu’elle allait devoir maîtriser. Devait-elle également la signaler à Doliene ? Il avait voulu connaître les pouvoirs des hérauts mais lors du conseil, l’Ondine ne savait pas qu’elle en possédait et faire le trajet jusqu’à Doliene serait quelque peu compliqué pour l’instant. Elle en conclut que ce serait pour plus tard. Elle irait jusqu’au château de Doliene, ce serait l’occasion pour elle de voyager. Elle passera par là avant d’aller au sanctuaire de la dryade pourrie.