Marchands en péril
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Il semblait affolé.
- ...on a été surpris, on ne les a pas vu venir. Ils n’étaient que deux mais bien organisés, ils en voulaient à nos marchandises et rien ne pouvait les arrêter. J’ai réussi à leur échapper mais ils avaient déjà mis Pablo et Jurik dans un sale état, et les autres allaient sûrement y passer. Faut venir voir ça, vite madam’, faut venir nous aider !
Quand il est arrivé devant ma porte, je pensais que l’homme venait pour lui, il avait l’air complètement perdu, haletant, hirsute, grommelant dans sa barbe mal entretenue, et je me préparais déjà à tenter de l’apaiser. Je dis bien tenter, parce que pour l’instant, seuls ma conversation calme et le simulacre d’apposition des mains inefficace mais persuasif, peuvent renvoyer mes visiteurs avec la sensation de mieux aller.
Certes les bains dans le ruisseau me font du bien, les rayons de Mère le Lune m’envahissent et me réchauffent, mais je sens bien que je n’ai plus les vibrations en moi. Père reste silencieux, je ne sais plus me mettre en condition, il doit m’attendre en haut avec les pères de ses pères, mais je ne peux pas venir à lui.
Alors quand cet homme s’est présenté, j’ai vu là une occasion supplémentaire de poursuivre mon travail afin de récupérer ma puissance d’antan, je ne saurais trop quoi faire pour réellement soigner mais essayer, encore et encore, jusqu’à y arriver.
Nous marchons donc, plutôt trottinons, car l’homme est pressé et je le comprends. En chemin, il me dit se nommer Ulrich et être marchand, il voyageait vers la grande ville avec ses six compagnons, quand ils ont été victimes de l’attaque. Il semble réticent à en dire plus, notamment sur le type de marchandises transportées, il s’agirait de poteries précieuses remplies de poudre blanche, mais il reste assez vague dans ses réponses à mes questions demandant des précisions.
- De la poudre qui fait du bien, pas vraiment comme des tisanes...elle soigne, dans un certain sens mais...mais ce n’est pas l’important, il faut surtout voir l’état de Pablo et Jurik.
Etrange, mais dans son récit, j’avais pu percevoir que le vol de ses marchandises l’affectait outrement plus que la santé de ses compagnons, il pleurait presque la perte de ses poteries, ou de sa poudre à savoir. En tous les cas, il me fait subir un rythme de course qui me laisse bientôt extenuée, la respiration courte et les jambes ne me portant plus.
On est encore loin ? Il va falloir ralentir sinon je ne tiendrais pas jusqu’au bout .
-c’est juste au bout là-bas, vers les grands arbres
Effectivement, en approchant du lieu indiqué, retentissent de plus en plus fortement des cris. Je vois bien de l’agitation, des personnes semblent se battre à côté de plusieurs carrioles. Par précaution, je me saisis de mon coutelas et je fais signe à Ulrich de se faire discret pour s’approcher. Pourtant, arrivée sur place, les chariots semblent vides, à l’exception d’un qui remue violemment et d’où on peut entendre des bruits de lutte et des paroles menaçantes.
Je chuchote a l’oreille d’Ulrich.
Prends ce gros bâton, ca devrait suffire avec l’effet de surprise. On va aller à l’arrière de ce charriot, on fait irruption en hurlant quand je te le dis, il faut leur faire peur, alors ne te retiens pas.
Chacun d’un côté de la carriole, nous sommes près à ouvrir les deux pans de tissu qui ferme l’entrée du véhicule. Je regarde Ulrich, lui fait un signe de tête puis nous bondissons sur le tissu en hurlant, Ulrich levant son bâton et moi brandissant mon arme.
La réaction ne se fait pas attendre, deux paires d’yeux nous regardent avec stupeur. Il est sûr qu’un homme mal rasé qu’on pourrait prendre pour un ours dans l’obscurité du contre-jour et une femme aux cheveux flamboyants qui menace avec une arme blanche qui surgissent par surprise ne peut que provoquer la frayeur des deux bandits occupés à molester un garçon. Ils se redressent et se ruent sur la sortie pour fuir, deux sangliers qui renversent tout sur leur passage.
Affalée par terre, je les regarde s’éloigner en courant, Ulrich git comme moi dans la poussière et me sourit niaisement.
Toi !! Hurler, ce n’est pas m’arracher les tympans !