Les morts retombaient déjà quand les trois compagnes d’aventures commencèrent à remonter vers le village. Le dégoût s’affichait sur leurs traits pincés alors que les charognards recommençait à faire craquer les os de leurs victimes. Pendant qu’elles grimpaient, Aki pensait à la dernière chose que Ai avait dite et à la possibilité que la petite mage ait raison. La Druidesse n’en savait rien après tout, elle ne connaissait rien à la magie de ce monde pervers. Chez elle, toute malédiction influait sur le Fluide de celui qui l’avait, quelque part il touchait à ce qu’ici ils appelleraient “l’énergie vitale” pour la souiller et la corrompre. Peut-être que l’on ne pouvait pas soigner une malédiction avec des bandages mais qu’en était-il de cette magie particulière qui pouvait manipuler toutes les puissances à l’intérieur d’un corps vivant ? Aussi destructrice que curative, la rouquine avait confiance en son pouvoir. S’il y avait un moyen d’effacer le mal qui avait été fait, elle le trouverait et elle empêcherait le nouveau meurtre d’un enfant.

Mune trottinait à ses côtés, grognant si une des créatures répugnantes s’approchait un peu trop de leur petit groupe, jetant des coups d’oeils inquiets à sa protégée (car après tout il était son Gardien), incapable de deviner ce qui se passait dans le cerveau embrumé de l’archère. Lorsqu’ils arrivèrent au niveau de la maison du nain, elle n’avait pas prononcé un mot de plus, pliant et dépliant les doigts et faisant voler le Fluide vert entre ceux-ci. Si elle ne pouvait sauver cette enfant … Si elle ne pouvait faire cela … S’il fallait de nouveau prendre une décision inhumaine … Non, elle ne voulait pas y penser.

Ils pénétrèrent à l’intérieur de la pièce et l’ondine ouvrit le bal de la plaidoirie, rapidement suivie par Ai qui expliqua la situation en quelques mots. Au moins l’explosive violette parlait de “lever” la malédiction et pas d’assassiner Emilie froidement. Mais il y avait une personne au moins dans ce groupe qui en était parfaitement capable. Un enfant loup garou à l’époque, une petite sorcière maudite maintenant, quelle différence cela faisait-il pour elle ? A l’époque la Nishiie n’avait pas bougé le petit doigt et elle en cauchemardait encore. Pourrait-elle recommencer ? Tuer un innocent pour le bien de tous ? Serait-elle capable d’accepter la fatalité une fois de plus sans tout perdre, perdre ce qui la poussait en avant et ce qui la définissait ? Et s’il s’agissait d’Orina ?

Aucun doute. Cette simple pensée la rendait furieuse. Si cela avait été Orina elle aurait préférée rester enfermée ici pour toute l’éternité et jeter des corps tous les jours que de tuer l’homonculus. Alors comment pouvait-elle imposer à quelqu’un d’autre ce qu’elle ne pouvait supporter elle-même ? Au moins l’enfant n’avait plus de parents pour la regretter … Non, non, elle ne devait pas penser à des choses pareilles ! Elle soignerait Emilie et tout redeviendrait comme avant. Il n’y avait pas de raison que sa magie ne fonctionne pas. Aucune.

Les révélations du nain étaient plutôt surprenantes. Un fantôme qu’elle avait appelé une “jolie dame” ? Voilà qui n’avait qu’une explication. Regardant ses compagnes d’aventure pour voir si elles pensaient la même chose qu’elle, la rouquine s’abstint cependant de prendre la parole. Elle n’avait pas oublié leur différents et même si elle était à présent calmée, il valait mieux garder l’arrogant petit personnage de leur côté pour la suite des évènements.

L’archère écouta d’ailleurs attentivement la solution qui leur était proposé : remplacer le coeur de l’enfant par un cristal ! Quelle abomination ! Il était impossible de dissimuler l’air de dégoût qui avait pris la place des traits d’Aki. Cette enfant payerait à jamais pour un crime qu’elle n’avait pas commis et par la faute de la Dame. Bien évidemment, Niasci qui se fichait des humains donnerait encore raison à cette déesse de malheur dans cette nouvelle situation où elle prouvait pourtant qu’elle n’était qu’une égoïste qui ne réfléchissait jamais aux conséquences. Cette fois la soigneuse ne put s’empêcher de parler.



Le mage qui ne savait pas ce qu’il faisait précisa également qu’il n’était pas sûr de réussir et leur demande si elles étaient certaines qu’il s’agissait d’Emilie. La question était épineuse certes, mais c’était la seule piste concrète qu’elles avaient pus dénicher. Même si le doute subsistait, c’était la seule chose qu’elles étaient en mesure de faire, autrement elles resteraient bloquées ici pour l’éternité avec des villageois qui les haïssaient, une perspective bien peu engageante.

Spoiler:

On accorda fort heureusement à la guérisseuse de tenter sa chance pour soigner la petite qui fut bien vite amenée. Elle serait honorée pour son sauvetage si celui-ci réussissait, une bien maigre consolation face au désespoir certain de se voir privée de sa liberté. S’accroupissant devant l’enfant, la rouquine tendit une main vers elle pour la lui poser doucement sur l’épaule.



Elle tentait d’adoucir sa voix au maximum, rien ne garantissant la réussite de son plan, elle espérait que le processus du nain ne serait pas trop douloureux s’il fallait en passer par là.



La guérisseuse mit l’absence de réaction de son interlocutrice sur le compte de sa timidité. Sa main se mit à baigner d’un Fluide vert ce qui fit sursauter la pauvre enfant.



Pour l’instant tout du moins. La majorité du temps ses patients souffraient le martyre quand il s’agissait d’un os à réparer, alors comment espérer que lever une malédiction soit indolore ? Mais alors que l’archère tentait de faire pénétrer sa magie dans le corps de la gamine elle sentit que celle-ci lui revenait automatiquement dans la main, comme si quelque chose empêchait son passage. Elle tenta l’expérience pendant plusieurs minutes, la fatigue se voyant sur ses traits, lâchant de temps à autre un mot pour encourager l’orpheline à la patience, mais rien n’y fit. Elle était impuissante. Abandonnant ainsi ce qu’elle savait désormais inutile, elle se releva et se détourna de l’infortunée maudite.



Les dents serrées, la jeune femme s’assit sur une des chaises, accablée par sa défaite. Encore une fois elle ne pouvait rien y faire. En voilà une bien belle image des Druides ! Inutiles, arrogants, et maltraiteurs d’enfants. Tueurs parfois. Il n’y avait plus qu’à espérer que la stratégie du maître nain fonctionne sinon … eh bien sinon encore une fois, elle fermerait les yeux à la brutalité et elle passerait le restant de sa vie avec une mort de plus sur sa conscience.

Défaite, la jeune femme ne protesta pas quand elles se firent toutes trois pousser hors de la maison du nain, se contentant de récupérer ce qu’on lui mettait entre les bras, la tête basse. Si elle avait été un animal sans doute aurait-elle eu les oreilles baissées à l’image actuelle de son compagnon canin qui semblait porter la responsabilité de cet échec tout autant qu’elle. Elle ne prononça pas un mot du temps qu’elles passèrent à attendre, ne mangeant que si cela devenait impératif pour son estomac et ne dormant que peu, attendant anxieusement qu’on vienne la libérer de ce lieu de malheur et surtout craignant la terrible nouvelle de devoir tuer l’enfant.

Lorsqu’enfin leur hôte leur permis de retourner à l’intérieur, elle ouvrit des yeux écarquillés à la vue du coeur ensanglanté et du corps de l’enfant qui semblait avoir perdus toute âme. Tout cela car elle avait échoué. Tout cela car elle était la plus pitoyable des guérisseuses qu’elle n’ait jamais croisé.



Elle avait murmuré à l’attention de la gamine, espérant que le nain avait dit vrai et que celle-ci pouvait l’entendre.



Alors que son coeur se déchirait face à la décision qui leur était désormais imposée, elle resta de longues minutes devant la chaise occupée de la victime, replaçant régulièrement une de ses folles mèches de cheveux derrière son oreille quand la gravité l’appelait devant ses yeux.



Il fallut quelques heures de plus pour que l’amie des animaux comprenne que le visage d’albâtre face à elle ne lui répondrait plus.



Accablée, l’archère déposa un baiser sur le front de la belle au bois dormant avant de se détourner de sa vision cauchemardesque. Si les deux autres n’étaient pas déjà partis, elle prit le temps de leur souhaiter au revoir et une bonne continuation avant de retraverser le village en sens inverse vers sa propre fille qui l’attendait sans doute. Etait-ce un autre cadavre qu’elle laissait derrière elle ou la gamine avait-elle réellement une chance de s’en sortir ? Cette question la tarauderait jusqu’à ce qu’elle ait l’occasion de vérifier par elle-même bien plus tard.